A l’epoque de la Ligue, les Espagnols appeles par les partisans des Guises avec lesquels ils avaient fait alliance contre le roi Henri IV, qu’on ne nommait encore que le roi de Navarre, tinrent pendant un laps de temps assez long garnison a Paris. Je vous demande pardon, cher monsieur Olivier, d’entrer ainsi dans des details qui doivent vous sembler bien oiseux. –Pardonnez-moi, monsieur le comte, ils m’interessent beaucoup au contraire; continuez de grace. Le jeune homme s’inclina et reprit: –Or, le comte de la Saulay, qui vivait alors, etait un fougueux partisan des voir la page Guises et un ami tres intime du duc de Mayenne; le comte avait trois enfants, deux fils qui combattaient dans les rangs de l’armee de la Ligue et une fille attachee en qualite de dame d’honneur a la duchesse de Montpensier, soeur du duc de Mayenne.
Le siege de Paris dura longtemps, il fut meme abandonne, puis repris, par Henri IV qui finit par acheter a beaux deniers comptants la ville dont il desesperait de s’emparer et que le duc de Brissac gouverneur de la Bastille pour la Ligue lui vendit. Beaucoup des officiers du duc de Mendoza commandant des troupes espagnoles, et ce general lui-meme, avaient leur famille avec eux. Bref, le fils cadet de mon aieul devint amoureux d’une des nieces du general espagnol, la demanda en mariage et obtint sa main, tandis que sa soeur consentait, sur les instances de la duchesse de Montpensier, a accorder la sienne a un des aides de camp du general; l’artificieuse et politique duchesse pensait par ces alliances eloigner la noblesse francaise de celui qu’elle nommait le Bearnais et le huguenot, et retarder, sinon rendre impossible, son triomphe.
Ainsi que cela arrive toujours en pareil cas, ces calculs se trouverent faux, le roi reconquit son royaume et les gentilshommes les plus compromis dans les troubles de la Ligue se virent contraints de suivre les Espagnols dans leur retraite et d’abandonner avec eux la France.
Mon aieul obtint facilement son pardon du roi qui meme daigna plus tard lui donner un commandement important et qui attacha son fils aine a son service; mais le cadet, malgre les prieres et les injonctions de son pere, ne consentit jamais a rentrer en France et se fixa definitivement en Espagne. Cependant, bien que separees, les deux branches de la famille continuerent a entretenir des relations entre elles et a s’allier l’une a l’autre. Mon grand-pere epousa pendant l’emigration une fille de la branche espagnole; aujourd’hui c’est a moi a en contracter une semblable. Vous voyez, cher monsieur, que tout cela est fort prosaique et fort peu interessant. –Ainsi vous consentiriez a epouser les yeux fermes pour ainsi dire une personne que vous n’avez jamais vue, que vous ne connaissez meme pas? –Que voulez-vous, cela est ainsi; mon consentement est inutile dans cette affaire, l’engagement a ete solennellement pris par mon pere, je dois faire honneur a sa parole. D’ailleurs, ajouta-t-il en souriant, ma presence ici vous prouve que je n’ai pas hesite a obeir.