Il perdait de vue a tout moment, puis retrouvait, entre deux troncs de pins, la queue expressive d’Hercule. Tout a coup le chien pointa. Il y eut comme deux faux arrets, puis un arret ferme. C’etait le moment.
Comme Maurin l’avait espere, le faisan n’etait pas tres loin de l’endroit ou il l’avait apercu.
L’oiseau a peine entre sous le couvert n’avait plus bouge. Il allait s’enlever a bonne portee. « Bourre! » Maurin tira. Le faisan, qui montait en chandelle, retomba aussitot sur le nez d’Hercule qui, le gibier aux dents, bondit vers son maitre. Les gendarmes accouraient. Ils devalaient bon train, faisant rouler sous leurs pieds ferres les pierres sonores. .
. Maurin repartait dans sa barque, et son chien deja y etait entre. Les gendarmes firent une petite halte: –Arretez, Maurin! –Pas tant bete! leur cria-t-il. –Au nom de la loi, arretez! dit l’un. –Avez-vous la permission de chasser dans l’ile? dit l’autre. –La permission je l’ai sous ma semelle, quand j’y suis, dans l’ile! Et au bout de mes avirons, quand je la quitte. Les deux gendarmes reprirent leur course. Maurin, de l’aviron manoeuvre comme une gaffe, repoussait le fond de sable et de cailloux.
La barque se degageait, flottait, s’eloignait un peu. A ce moment, devant les gendarmes stupefaits, deux faisans s’enlevaient a grand bruit, montant verticalement d’abord, puis, prenant un parti, s’envolaient pour decrire au-dessus de la mer une grande courbe qui devait les ramener sur un autre point de l’ile. Et il arriva qu’ils passerent a bonne portee du fusil de Maurin. . . Coup double.
.
. Ils tomberent tous deux. . .
La barque filait. . . Le braconnier s’inclina par-dessus bord et les ayant cueillis sur l’eau, il les jeta au fond du bateau ou gisait le premier sous la garde d’Hercule. Alors, il cria aux gendarmes, debout la-bas sur la colline, veritables statues de l’autorite impuissante: –Pour ceux-la, vous n’avez rien a dire; la mer n’a pas de proprietaire: _zibier d’eau!_ Sandri et son compagnon ne disaient rien en effet. Le desespoir entrait dans l’ame du beau gendarme.
Mais Sandri et son compagnon avaient une chance de revanche. Le comte de Siblas, averti par eux, et tres curieux de connaitre le fameux braconnier des Maures, avait annonce qu’avec son yacht il surveillerait les points abordables de l’ile. La barque s’eloignait doucement; Maurin faisait mouvoir avec lenteur ses avirons dans l’eau calme. Il s’arreta, mit ses mains en porte-voix et cria encore: –Sandri! c’est toi qui les as leves, ceux-la. Comme gendarme, je me f. . . iche un peu de toi, mais comme rabatteur je t’estime. Une envie vague de braquer son revolver sur Maurin prit au coeur le Corse vindicatif. Mais son compagnon lui toucha le bras: –Notre homme est pince, Sandri.
Voici le bateau du comte qui lui coupe la retraite.
En effet, le yacht ici a vapeur, svelte, coquet, blanc et or, avec ses deux petits joujoux de canons qui reluisaient au soleil, se mettait en travers de l’embarcation du chasseur. Maurin, l’oeil sur les gendarmes dont la vue le rejouissait au dela de toute idee, n’avait pas apercu le yacht auquel il tournait le dos.