–C’est cela meme, je suis envoye pour leur servir d’escorte jusqu’a Puebla _de Los Angeles_; mais ils ne semblent pas etre presses de partir; cependant la journee doit etre longue et ils ne feraient pas mal de se hater. En ce moment une porte interieure s’ouvrit, un homme richement vetu entra dans la salle commune, et apres avoir legerement souleve son chapeau en prononcant le sacramentel _Ave Maria purisima_, il s’avanca vers l’officier qui en l’apercevant avait fait quelques pas a sa rencontre. Ce nouveau personnage etait un homme d’environ cinquante-cinq ans encore vert; sa taille etait haute et elegante, ses traits beaux et nobles, une expression de franchise et de bonte etait repandue sur sa physionomie. –Je suis don Antonio de Carrera, dit il, en s’adressant a l’officier; j’ai entendu les quelques mots que vous avez dits a notre hote; je crois, seigneur, etre la personne que vous avez mission d’escorter. –En effet, senor caballero, repondit poliment le sous-lieutenant, le nom que vous avez prononce est bien celui ecrit par l’ordre dont je suis porteur; j’attends votre bon plaisir, pret a faire ce que vous desirerez. –Je vous remercie, senor; ma fille est un peu malade, je craindrais, en me mettant en route d’aussi bonne heure, de porter atteinte a sa sante delicate, si vous n’y voyez pas d’inconvenient, nous demeurerons encore quelques heures ici et nous ne partirons qu’apres notre dejeuner auquel je serais honore que vous daigniez prendre part. –Je vous rends mille graces, caballero, repondit l’officier, en s’inclinant avec courtoisie, mais je ne suis qu’un soldat grossier, dont la societe ne saurait etre agreable a une dame; veuillez donc m’excuser si je refuse votre toute gracieuse invitation, dont cependant je vous suis aussi reconnaissant que si je l’acceptais. –Je n’insiste pas, seigneur, bien que j’aurais ete flatte de vous avoir pour convive; ainsi il est convenu, n’est-ce pas, que nous resterons ici encore? –Tant que vous le voudrez, senor, je vous repete que je suis a vos ordres.
Apres cet echange mutuel de bons procedes les deux interlocuteurs se separerent, le vieillard rentra dans l’interieur du rancho et l’officier sortit pour installer le bivouac de sa troupe. Les soldats mirent pied a terre, attacherent leurs chevaux au piquet et commencerent a vaguer de cote et d’autre en fumant ce site leur cigarette, regardant tout avec cette inquiete curiosite particuliere aux Mexicains. Cependant l’officier avait dit quelques mots a voix basse a un soldat; celui-ci, au lieu d’imiter l’exemple de ses compagnons, etait au contraire remonte a cheval et s’etait eloigne au galop. Vers dix heures du matin, les domestiques de don Antonio de Carrera attelerent les chevaux a la berline, puis quelques instants plus tard le vieillard sortit. Il donnait le bras a une dame, tellement enveloppee dans son voile et sa mante qu’il etait litteralement impossible de rien voir de son visage ou de rien deviner de l’elegance de sa taille.
Aussitot que la jeune dame eut ete confortablement installee dans la berline, don Antonio se retourna vers l’officier qui s’etait rapidement rapproche de lui.