–Nous precautionner, pourquoi? fit le jeune homme avec etonnement.
Olivier lui lanca un regard d’une expression singuliere. –Vous ne savez encore rien de la vie americaine, repondit-il enfin: au Mexique, la premiere loi de l’existence est de toujours se premunir contre les eventualites probables d’un guet-apens.
Suivez-moi et faites ce que vous me verrez faire. –Allons-nous donc nous cacher? –Parbleu! fit-il en haussant les epaules. Sans repondre autrement, il se rapprocha de son cheval auquel il remit la bride et sauta en selle avec une legerete et une dexterite denotant une grande habitude, puis il s’elanca au galop, vers un fourre de liquidambars eloigne d’une centaine de metres au plus.
Le comte, domine malgre lui par l’ascendant que cet homme avait su prendre sur lui, par ses etranges facons d’agir depuis qu’ils voyageaient ensemble, se mit en selle et s’elanca sur ses traces.
–Bien, fit l’aventurier, des qu’ils se trouverent completement abrites derriere les arbres, maintenant attendons. Quelques minutes s’ecoulerent. –Regardez, dit laconiquement Olivier, en etendant le bras dans la direction du petit bois dont eux-memes etaient sortis deux heures auparavant.
Le comte tourna machinalement la tete de ce cote; au meme instant une dizaine de cavaliers irreguliers, armes de sabres et de longues lances deboucherent au galop dans le vallon et s’elancerent sur la route vers le premier defile des Cumbres.
–Des soldats du president de la Veracruz, murmura le jeune homme; qu’est-ce que cela veut dire? –Attendez, reprit l’aventurier: Un roulement de voiture devint bientot distinct et une berline apparut emportee comme dans un tourbillon par un attelage de six mules. –Malediction, s’ecria l’aventurier, avec un geste de colere en apercevant la voiture. Le jeune homme regarda son compagnon; celui-ci etait pale comme un cadavre, un tremblement convulsif agitait tous ses membres. –Qu’avez-vous donc? lui demanda le comte avec interet. –Rien, repondit-il sechement, regardez. . . Derriere la voiture, un second peloton de soldats arrivait au galop, la suivant a une legere distance et soulevant des flots de poussiere sur son passage. Puis, cavaliers et berline s’engouffrerent dans le defile ou ils ne tarderent pas a disparaitre. –Diable, fit en riant le jeune homme, voila des voyageurs prudents, au moins; ils ne risquent pas d’etre devalises par les salteadores. –Vous croyez? fit Olivier avec un accent de mordante ironie. Eh bien! Vous vous trompez, ils seront attaques au contraire, et cela avant une heure, et probablement par les soldats payes pour le site les defendre.
–Allons donc, ce n’est pas possible. –Voulez-vous le voir? –Oui, pour la rarete du fait. –Seulement, prenez-y garde; peut-etre y aura-t-il de la poudre a bruler.
–Je l’espere bien ainsi. –Alors vous etes resolu a defendre ces voyageurs.
–Certes, si on les attaque.
–Je vous repete qu’on les attaquera. –Alors, bataille! –C’est bien, vous etes bon cavalier? –Ne vous inquietez pas de moi: ou vous passerez je passerai.